Un rapide retour sur l’histoire récente des aménagements cyclables de la ville de Tours (1 sur 2)

Heurs et malheurs de la circulation cycliste sur la métropole de Tours et l’Indre-et-Loire

Les aménagements cyclables à Tours ont commencé dans les années 1960 avec le pont Napoléon puis les Rives du Cher. Ensuite, ce fut le boulevard du Maréchal Juin sur le plateau nord. Bref, c’est la construction de nouveaux quartiers qui explique la création des premières pistes cyclables. Puis cinquante années ont passé sans nouvelles créations d’aménagements cyclables, à l’exception du quartier des Deux-Lions.

La réalisation du pont de Saint-Cosme sans aménagements cyclables en 1990 fait émerger une demande sociale qui va présider à la création du Collectif Cycliste C37. Dès lors, la rupture entre la société civile et la classe politique locale ne va cesser de se creuser pour aboutir à la contestation et la critique de la passerelle Fournier. La surdité et l’aveuglement de la classe politique locale furent complètes.

L’arrivée du tramway sur Tours et Joué-lès-Tours va sonner le glas de la place de la bicyclette dans l’agglomération : le vélo va devenir la victime collatérale du tramway. Partout où il manque de la place, ce sont les cyclistes qui vont en faire les frais.

Ce furent une quinzaine d’années sans aménagements cyclables, et pire, d’évitement de l’agglomération et de sa classe politique devant le « tout automobile », vache sacrée contemporaine. 2013 le tramway, 2015 la boucle urbaine, 2017, la passerelle Fournier : la descente aux enfers ?

Les premières pistes cyclables sur Tours

Le quartier des Rives du Cher

La première fois que des aménagements cyclables ont été réalisés sur Tours ce fut lors de la construction du pont Napoléon sur la Loire en 1960, pour 395 m. C’est, semble-t-il, la dernière fois jusqu’à maintenant (2024) qu’un pont a été construit en Indre-et-Loire avec des pistes cyclables intégrées à l’ouvrage, dès sa conception (1).

La seconde fois, ce fut au milieu des années 1960 pour les deux pistes cyclables des Rives du Cher, le long des boulevards Winston Churchill et Richard Wagner, 3 km réalisés d’un coup, soit 6 km cyclables, voire plus avec les aménagements concomitants de l’avenue de Grammont, entre le carrefour de Verdun et le carrefour de l’Alouette, soit 1,1 km ou 2,2 km cyclables.

Le quartier des Rives du Cher fut construit entre 1962 et 1968, dans la suite de la construction du quartier du Sanitas, à partir de 1959. On se situe alors dans la phase de redéveloppement de la ville de Tours face au mal logement endémique de la ville d’alors, du baby-boom et de l’afflux de populations extérieures : exode rural, immigration espagnole et algérienne, suivie dans les années 1960 des immigrations portugaises, marocaines, des rapatriés d’Algérie, et de la décentralisation industrielle.

En seulement quelques minutes et quelques images, un film illustre cette situation cyclable si particulière de la ville de Tours à cette époque : Le Grand Amour de Pierre Etaix. Le film commence dans les airs par un long travelling au-dessus de la Loire qui débute par le Pont de la Motte (seul pont ferroviaire), longe le quai au bas de Saint-Cyr-sur-Loire, sans piste cyclable, survole les ponts Napoléon, Wilson et de Fil. Mais pas de pont Mirabeau et de pont autoroutier au loin. Trois ponts seulement pour traverser la Loire et seulement deux ponts pour la circulation automobile. « Agnès » est une jeune et jolie secrétaire, une employée donc, qui réside dans les nouveaux immeubles du quartier du Sanitas, reconnaissables entre tous par leur architecture typée. Elle y enfourche son VéloSoleX® et roule le long des Rives du Cher pour arriver « directement » à Château-Renault et pointer à l’entrée de son usine, une tannerie. Elle est la secrétaire du patron… Le film fut tourné en 1968.

Les autres nouveaux quartiers

L’extension de la ville de Tours s’est également faite sur le plateau nord au-dessus de Saint-Symphorien : ce fut le quartier de l’Europe, qu’un nouveau boulevard allait relier par un nouveau pont, le pont Mirabeau. Il a été ouvert en 1972, sans aménagement cyclable, seulement des bandes cyclables. Par contre le boulevard du Maréchal Juin est équipé de deux pistes cyclables unidirectionnelles sur 1,9 km soit un total de 3,7 km.

Sauf erreur, 1972 est la dernière fois où des aménagements cyclables à l’écart de la circulation automobile auront été réalisés sur la ville de Tours. A partir des années 1970, l’ère du tout automobile s’impose. Dès lors, la bicyclette et ses déclinaisons motorisées, VéloSoleX®, mobylette, scooter Vespa® et autres cyclomoteurs en tous genres, vont lentement s’éclipser.

Il faudra attendre plus de cinquante ans pour que des aménagements cyclables d’envergure soient de nouveau programmés sur la ville de Tours. Seule parenthèse urbaine enchanteresse : la rue James Watt et le chemin d’Ariane, en prolongement de la passerelle d’Ariane, aménagés dans le quartier des Deux Lions à partir des années 2000 ont redonné une place au vélo dans la ville. Ce mouvement se poursuivra avec la construction du pont de Vendée pour le tramway, accessible aux piétons et cyclistes en 2012.

C’est donc à l’occasion de la création de nouveaux quartiers, que des aménagements cyclables ont été envisagés à partir des années 1960 à Tours, mais de manière ponctuelle à chaque fois. Ailleurs, la Loire à vélo (2003-2013), Saint-Jacques à vélo (2013) et le Cher à vélo (2020) ont été aménagés partiellement en voies vertes hors des zones urbanisées. Pour le reste, ce ne furent que des bandes cyclables et très souvent en deçà des largeurs réglementaires !

Pendant ce temps-là, les villes de la première couronne de l’agglomération tourangelle vont à leur tour aménager des pistes cyclables, mais elles ne seront jamais connectées entre elles. Cela aboutira en 2017 au constat désenchanté des discontinuités cyclables si caractéristiques de l’agglomération de Tours.

La demande sociale insatisfaite : le pont de Saint-Cosme et la passerelle Fournier

S’il ne s’est rien passé sur Tours pendant cinquante ans, hormis sur les Deux-Lions, ce n’est pas faute de l’avoir demandé de manière insistante et récurrente à partir des années 1990.

Le corps politique local est resté sourd aux interpellations de la société civile qui s’est exprimée de manière régulière depuis 30 ans à ce sujet. En effet, le Collectif Cycliste 37 est né en février 1991 de l’absence d’aménagements cyclables lors de la construction du pont routier de Saint-Cosme sur la Loire (1990), pour le boulevard périphérique Ouest de Tours, puis lors de son doublement en 2007. Dans les mêmes temps, Saumur faisait construire le pont du Cadre Noir auquel, dès le départ, il a été adjoint une piste cyclable bidirectionnelle à l’Est du pont. Autres lieux, autres mœurs !

Le corps politique local a récidivé au milieu des années 2010 avec la passerelle Fournier, au-dessus des voies de chemin de fer de la gare de Tours. Âgée de plus de 125 ans, il fallait la remplacer vu son obsolescence et la rendre cyclable, ce qu’elle n’était pas. Ce fut pendant dix ans des interpellations régulières des élus municipaux par l’association pour la qualité de vie dans l’agglomération tourangelle (Aquavit 37) au sein des comités de quartier. Par ailleurs, pendant les cinq dernières années, ce furent au minimum trois vélorutions par an pour s’assurer que la passerelle Fournier serait réellement cyclable.

Que croyez-vous qu’il advint ? Elle n’a été réalisée qu’aux normes minimales pour les personnes à mobilité réduite, ce qui la rend difficilement cyclable. A la montée et à la descente, il est impossible de croiser un autre cycliste sans rouler au pas, voire sans être obligé de mettre un pied à terre. De la même manière, il est impossible de franchir les deux épingles à cheveux de la passerelle là encore sans mettre un pied à terre, pour ne pas être déséquilibré. Par ailleurs, la réalisation de la passerelle est en totale contradiction avec les objectifs cyclables annoncés dans l’appel à projet de 2013, où elle était annoncée comme devant l’être. Le constat est sans appel, cette passerelle a été conçue et réalisée en dépit du bon sens avec ses rampes étroites (1,40 m pour la rampe d’accès est, 1,60 m pour la rampe ouest) et ses deux épingles à cheveux alors qu’il y avait réellement la place de faire autrement.

Au-delà du fait de ne pas être à la page, de ne pas percevoir « Le retour de la bicyclette » (Frédéric Héran, Editions La Découverte, 2014), les élus se sont dédits et ils ont été étonnés des critiques simultanées des six associations les plus engagées pour la promotion des mobilités actives ou la lutte contre le handicap moteur.

Les 6 associations

Le titre du communiqué de presse du 1er juin 2017 est cinglant : « Une infrastructure inadaptée par manque de vision et d’ambition… »

En réalité c’est une honte, car cette réalisation est d’emblée sous-dimensionnée. C’est de plus un gaspillage de fonds publics puisqu’elle n’a pas d’avenir étant inadaptée aux usages futurs. C’est une réalisation étriquée du seul fait d’une étroitesse de vue de ses financeurs puisque le prestataire choisi, l’atelier d’architecture B+M (Grégoire Bignier et Sébastien Mémet) est celui qui a réalisé la passerelle cyclo-piétonne de la gare de Blois, de toutes autres dimensions et de qualité de circulation. A Tours, les élus ont fait des économies. Pour quel résultat ?

Itinéraire de liaison entre les centres villes de Tours et de Saint-Pierre-Des-Corps
passant au-dessus des voies ferrées et de l’autoroute.

C’est une opportunité ratée d’un grand axe cyclable entre les centres-villes de Saint-Pierre-des Corps, Tours et la Riche, à l’écart des grands flux de circulation automobile, et en connexion quasi-directe avec la gare TGV de Saint-Pierre-des-Corps.

La surdité et l’aveuglement de la classe politique locale furent complètes.

Pourtant ce n’est pas faute d’alertes et de propositions alternatives. On l’a vu avec le pont de Saint-Cosme, mais c’est également le CC37 qui publie en 2009 un opuscule de 23 pages : Propositions pour des Axes d’Agglomération. Ce document a disparu de la mémoire collective et des références citées lors des présentations de projets d’aménagements, alors même qu’il préfigure étonnamment le projet de Réseau Cyclable Structurant de 2023. Bien vu les anciens du CC37, en particulier Gérard Rollin et Thomas Joire !

Une autre déconvenue va réduire la place du vélo dans la ville, c’est l’arrivée du tramway.

Le vélo, la victime collatérale du tramway

Mon expérience personnelle me fait dire qu’il était plus facile de faire du vélo dans Tours et sur Joué-lès-Tours avant l’implantation du tramway. J’ai toujours fait du vélo sur Tours, sans me poser de questions sur la place du vélo dans la ville, sur les aménagements cyclables, ni sur ma place dans la circulation.

A partir de 2010, avec le début des travaux, les ennuis commencent pour les cyclistes, sans presque jamais s’améliorer depuis. Et pourtant la situation était prometteuse. Compte tenu de l’importance des perturbations attendues, la métropole va amplifier son offre de location de cycles pour faciliter l’abandon de l’automobile en s’affranchissant conjointement des contraintes des transports en commun. Le message subliminal est clair, la métropole mise sur le vélo pour le futur. C’est d’ailleurs le sentiment des bénévoles du CC37 qui vont être associés à la conception des aménagements cyclables connexes du tramway. Ils vont y croire, mais ils seront amèrement déçus. On leur a fait croire que l’on tiendrait compte de leurs desiderata et de leurs suggestions. En fait, il n’en a rien été.

Cyclistes dégagez, il faut de la place !

Finalement, toutes les décisions techniques iront au plus simple et négligeront les cyclistes. Ce sont les 0,6 km de l’avenue Maginot entre la place de la Tranchée et les rues du Président Kennedy et de Beauverger. Les cyclistes en sont réduits à rouler dans la circulation automobile, poussés au derrière par les automobilistes. Dans le sens contraire, c’est une piste cyclable malingre, où piétons, automobiles et poubelles s’en donnent à cœur joie pour occuper régulièrement l’espace dévolu aux cyclistes, sans parler de la traversée chaotique de la place du Colonel Arnaud Beltrame entre l’église du Christ-Roi et la station du tramway du même nom.

C’est le pont Wilson où piétons et cyclistes se sont retrouvés relégués en double-sens sur la voie Est du pont.

C’est la rue Nationale, espace totalement piéton en dehors de la plateforme du tramway interdite à la circulation, impraticable le samedi après-midi et difficilement praticable le reste du temps sans itinéraires de contournement par les rues Marceau, Voltaire ou Buffon. Ce sont au total 1,3 km de mise à l’écart des cyclistes.

Cet aménagement est illégal au regard du Code de l’environnement qui stipule :

à l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des besoins et contraintes de la circulation”.

Sur Joué-lès-Tours, c’est la rue du Pont-Volant équipée d’une seule bande cyclable dans le sens de la montée sur 0,9 km, où les automobiles vont trop vite pour certaines d’entre elles et ne respectent pas la bande cyclable pour d’autres. Cette partie d’itinéraire est stressante, la crainte est omniprésente, si ce n’est la peur : « on serre les fesses ! » m’a dit un cycliste jocondien.

A la descente, pas d’aménagement cyclable, les cyclistes roulent dans la circulation automobile. Dans la journée pas de problème. Aux heures de pointe, ce n’est pas la même chose. Je ne m’y risque plus, une seule fois a suffi. Victime d’une queue de poisson à vive allure, j’ai compris que c’était un itinéraire et un horaire où la vie de chaque cycliste est en danger. Je n’y passe plus.

Rue Gamard, à la montée, la place des cyclistes est incertaine et improbable pendant 0,3 km. Dans l’autre sens, les cyclistes sont dans une circulation automobile limitée et plus sereine.

Il s’en est fallu de peu que le pont Wilson soit inaccessible faute d’accès cyclable. Il a fallu que le maire de l’époque, Jean Germain, se déplace en personne pour faire réaliser les accès au pont. Et c’est ainsi que se distingue l’année 2013 qui relègue le vélo en variable d’ajustement du tramway, de la circulation piétonne et surtout automobile.

Les obstacles du pont de Vendée

Sur le pont de Vendée, pourtant conçu pour y intégrer les cyclistes, la courbe en sortie du pont à hauteur de la station Valadon est caricaturale. Les porte-caténaires sont désaxés dans la courbe par rapport à leur positionnement sur le pont. Placés dans la courbe, ils en réduisent d’autant la visibilité.

Les poteaux de signalisation sont au milieu de la piste, accompagnés par une poubelle.

En sortie de courbe, ce sont deux bancs qui prennent de la place dans l’espace de circulation.

On n’épargne rien aux cyclistes !

Il faudra dix ans pour que ces anomalies soient corrigées.

Il serait possible de faire la même démonstration à Joué-lès-Tours, avenue de la République, dans le sens sud-nord de manière amoindrie, mais pas moins gênante.

Les stratégies d’évitement de la métropole

A l’opposé de la demande sociale, pendant les années 2014-2015, la métropole (alors communauté d’agglomération Tour(s)plus)  travaille à l’élaboration d’un « périphérique vélo », dénommé « boucle urbaine ». Elle a fait réaliser pour cela des études pour proposer aux cyclistes de faire le tour du cœur de Tours et non de le traverser de part en part. La schématisation en est la suivante.

Proposition de hiérarchisation du réseau cyclable armature structurante proposée: 1 boucle et 4 axes  (source: Eréa Conseil).

Sollicité pour donner un avis, le Collectif Cycliste 37 a contesté le bien-fondé de la proposition car il ne réglait pas ce qui était, pour nous, la priorité absolue : la connexion des 16 points de passage obligés que représentent les ponts. Prioriser le contournement du centre contre sa traversée centrale était une aberration, ce que nous avions montré dans notre analyse(3) et ce que confirment aujourd’hui tous les comptages de circulation cycliste. C’est sur l’axe central nord-sud qu’il y a le plus important trafic cycliste (1944 passages/jour en moyenne en 2022).

Analyse du Collectif Cycliste extraite du Livre Blanc N°1.

Le déphasage des élus est total. Après analyse, il apparaît clairement pour ce qu’il est, une tentative de détournement de l’attention, une stratégie d’esquive et d’évitement de la question qui fâche : la place de l’automobile dans la ville. Le « tout automobile » est une vache sacrée(4) qu’il est impossible de questionner.

Bilan:

2013 le tramway,

2015 la boucle urbaine,

2017 la passerelle Fournier : la descente aux enfers ?

François Sarrazin, janvier 2024.

Prochaine parution : Bicyc’Lettre spéciale « Aménagements cyclables » du Collectif Cycliste 37 N° 2 – Un rapide retour sur l’histoire récente de la ville de Tours (2/2)

Notes

(1) Seule exception notable à Tours, le pont du tramway ou pont de Vendée en 2012.

(2) Contribution du Collectif Cycliste 37 au Dossier de demande de Déclaration d’Utilité Publique (DUP) pour la réalisation de la 1 ère ligne de tramway de l’agglomération tourangelle, Collectif Cycliste 37, juillet 2010, 20 p.

(3) Sarrazin, F. (2015). Livre blanc N° 1, Nos priorités pour le cœur d’agglomération : du maillage, de la continuité et de la fluidité. Tours, Collectif Cycliste 37, 62 p.

(4) Vache sacrée (expression) : question taboue, sujet très sensible qu’il n’est pas possible d’aborder ou de critiquer (Wikipédia).

Pour en savoir plus

30 ans d’histoire : les grandes réalisations du CC37 depuis 1991