« Pour un réseau de pistes cyclables ambitieux à l’horizon 2026 » : lettre ouverte aux élus métropolitains

Tours Métropole Val de Loire affiche depuis presque une décennie de prétendues fortes ambitions pour le développement du vélo comme mode de transport au quotidien ou comme activité touristique, comme le prouve l’objectif de 9% de part modale des déplacements à vélo à l’horizon 2023 du Plan de déplacement Urbain (PDU) ou bien les slogans « Tours capitale du vélo » ou « Tours capitale européenne du cyclotourisme » prononcés à longueur de discours ou dans les médias.

Or, selon les résultats de l’enquête mobilité de 2019, et ce quel que soit le territoire du département d’Indre-et-Loire concerné, le département lui-même, le SCOT de l’agglomération tourangelle, le territoire du Syndicat des mobilités de Touraine et Tours Métropole Val de Loire, la part modale du vélo est toujours aujourd’hui de 3 % (arrondi présenté dans les diagrammes de présentation publique). Seule exception, le noyau urbain de Tours atteint le score de 4 %. La situation n’a donc guère évolué en dix ans.

Aveuglé par la performance des vélotafeurs 1 sur la ville de Tours (7 %) et les augmentations régulières des compteurs de circulation cycliste qui ont laissé penser à une progression irrésistible de l’usage de la bicyclette, personne n’a vu venir la stagnation de la pratique du vélo. L’enquête mobilité de 2019 ne fait que confirmer l’absence de résultats d’une politique menée sans création d’aménagements cyclables de qualité, continus et séparés du trafic motorisé.

Le baromètre 2019 des villes cyclables de la Fédération des Usagers de la Bicyclette donne l’explication de cette désaffection pour l’usage du vélo par les collégiens, les lycéens, les personnes âgées ou plutôt les personnes fragiles ou mal à l’aise à vélo, y compris les personnes en situation de handicap qui, elles aussi, aspirent à la liberté de déplacement. À la question : « pour moi, pour les enfants et les personnes âgées, circuler à vélo n’est pas sûr ». Cet item recueille la note de 2 sur 6 sur la ville de Tours ce qui se révèle être un score « très défavorable ». Dit autrement, l’absence d’aménagements cyclables de qualité n’incite tout simplement pas à l’usage de la bicyclette par le plus grand nombre. Le Collectif Cycliste 37 et les usagers sont unanimes sur ce point de vue.

Le référentiel technique du futur réseau express vélo de l’agglomération tourangelle

En ce mois d’avril 2021, le Collectif Cycliste 37 a participé à une réunion de concertation pour l’élaboration d’un référentiel technique des axes cyclables métropolitains. Nous partageons son ambition de permettre la mise en place d’un réseau confortable, fluide, lisible et sécurisé, afin d’attirer un maximum d’usagers, des plus jeunes aux seniors, pour tous les motifs de déplacements : utilitaire, loisirs, tourisme. Son but est d’harmoniser la lisibilité du réseau structurant métropolitain, de faciliter l’usage des itinéraires prioritaires et d’aider les partenaires de Tours Métropole Val de Loire lors des études de conception.

Le qualificatif revendiqué de haut niveau de performance d’une voie cyclable pour les usagers correspond aux capacités suivantes : satisfaire la fluidité, garantir les temps de parcours, garantir la sécurité des cyclistes. Toutefois ce référentiel technique n’a de sens que si sont conduits de manière conjointe le plan de déplacement piétons, le plan de déplacement cycliste, le plan de transports en commun, le plan de circulation automobile et le plan de stationnement automobile, afin de s’assurer de la cohérence d’ensemble des différents modes de déplacement.

Pourtant, l’énoncé de la philosophie générale du référentiel technique de Tours Métropole Val de Loire révèle que la place hégémonique de la voiture ne sera pas remise en cause pour construire le réseau cyclable structurant de demain : « l’aménagement cyclable peut avoir une fonction prioritaire de la voirie ». Il est très inquiétant de constater que la philosophie des aménagements cyclables est de l’ordre du putatif : « présumé être », c’est-à-dire qu’elle soit dépendante d’un possible indéfini. Nous demandons que le texte revienne à la formule initiale : « l’aménagement cyclable doit avoir une fonction prioritaire de la voirie ».

Jean pilotant le tout nouveau vélo-cargo du Collectif Cycliste 37.
Jean pilotant le tout nouveau vélo-cargo du Collectif Cycliste 37.

Le vélo, ce mode de déplacement pour toutes et tous, y compris pour les personnes en situation de handicap

Le Collectif Cycliste 37 attend de véritables changements, un véritable volontarisme aménageur où le vélo va réellement avoir une place dans l’urbanisme métropolitain. La part modale du vélo reste scotchée à 3 %, ce qui prouve l’échec des politiques municipales menées au cours des deux précédents mandats sur l’ensemble de la métropole. Ne font du vélo que les cyclistes qui n’ont pas peur et savent trouver leur place dans la circulation automobile, tous les autres ne prennent pas leur vélo, parce qu’ils n’osent pas ou parce qu’ils trouvent que cela est trop dangereux. Le putatif ne peut rester à l’ordre du jour, la nécessité du changement est désormais inévitable pour atteindre un objectif conforme aux ambitions annoncées. Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas de changement climatique où la part des gaz à effet de serre d’origine automobile n’était pas prédominante…

C’est à cette seule condition que les éléments de présentation du référentiel cyclable peuvent devenir crédibles : remettre en question des fonctions automobiles (sens de circulation, nombre de voies, stationnement), modifier profondément le profil de la voirie (y compris l’éclairage, le mobilier urbain, …) et constituer un levier de requalification de l’espace public. La performance des axes cyclables structurants ne peut pas remettre en question la place du piéton et des personnes à mobilité réduite (PMR ou personnes en situation de handicap) sur l’espace public. Nous sommes d’accord avec les conséquences attendues de ces changements de priorités, encore faudrait-il que les préconisations techniques soient en cohérence avec ces nécessités.

Nous sommes d’accord avec l’énoncé des leviers de performance énoncés.

  • Sur un axe cyclable structurant métropolitain, l’objectif est de permettre de se déplacer à vitesse constante et de limiter les temps d’arrêt. Pour cela, l’axe cyclable est le moins possible interrompu, le cycliste bénéficie d’une priorité aux intersections. L’axe est praticable 365 jours/an et géré en conséquence.
  • Les cyclistes peuvent se doubler ou rouler côte à côte. Les vélos à « large gabarit » peuvent utiliser l’aménagement, de la même manière les engins de déplacement personnel (EPDM) sont acceptés.
  • Le profil en long est le plus direct possible et le plus logique. Il ne subit aucun obstacle. Le cycliste peut facilement lire son parcours en temps réel.
  • Les axes structurants métropolitains sont traités de manière homogène (revêtement, signalétique, etc.) Ils ont une identité visuelle forte et affirmée.

Par ailleurs, il convient de ne plus parler de mode doux mais de modes actifs.

Les espaces partagés

Dès lors, les espaces partagés n’ont pas de place dans le référentiel technique quel que soit leur type : aires piétonnes, zones de rencontre et zones 30, vélorues, chaussées à voie centrale banalisée ou chaucidou, puisqu’ils ont en contradiction avec ces leviers de performance.

La circulation fluide des cyclistes est impossible dans les zones piétonnes sous peine de mettre en danger les plus fragiles, ici les piétons, et d’alimenter les conflits entre usagers de la rue.

Dans le document de travail, il n’y a aucune définition de la vélorue, ce qui est un problème, car au final chacun peut y voir ce qui l’arrange, ce qui est fâcheux. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la pertinence de ce concept pour les aménagements cyclables sur Tours Métropole Val de Loire. À quelles conditions, certaines rues pourraient satisfaire à la définition d’une vélorue et pour quel bénéfice ? Qu’est-ce que cela apporte de désigner ces voies de vélorue ? Tant que nous ne saurons pas répondre à cet ensemble de questions, le concept de vélorue ne pourra retenir notre attention.

Les chaussées à voie centrale banalisée ou chaucidou ne peuvent être qu’une exception dans le référentiel technique cyclable du réseau structurant métropolitain.

Les voies vertes n’ont pas été mentionnées dans le document initial, nous le déplorons parce que les voies vertes sont un espace partagé avec les piétons, ce qui n’est pas sans poser problème. Leur définition est la suivante : une voie verte est une voie de communication autonome réservée aux déplacements non motorisés, tels que les piétons et les vélos. France Vélo Tourisme précise : il s’agit de parcours vélo sécurisés et sans voiture : chemins de halage, anciens chemins de fer, les voies vertes sont idéales pour une balade en famille.

La Loire à vélo (EuroVélo 6) de Montlouis à Villandry, hors Tours centre, le Cher à vélo / Cœur de France à vélo (V46), la voie de Saint-Jacques à vélo (V41, Tours-Rochecorbon) et la Scandibérique (EV3) à partir de l’île Balzac correspondent à cette situation de mélange des piétons et des cyclistes. Certains jours de la semaine, mais maintenant de plus en plus souvent et à certaines heures de la journée, la présence des piétons sur ces voies les rendent impraticables pour les cyclistes ou a minima problématiques, alors même que ce sont des itinéraires utilisés pour le vélo utilitaire. Il s’agit alors d’un réel cas de conflit d’usage qui ne devrait pas être compatible avec un réseau structurant cyclable.

Cela représente un nombre de kilomètres conséquents séparés de la circulation automobile mais qui deviennent inutilisables pour les cyclistes dès lors qu’ils sont fortement fréquentés par les piétons. La politique cyclable de Tours Métropole Val de Loire ne doit pas être menée au détriment de la pratique de la marche, bien au contraire. Le partage piéton/vélo est la solution de facilité, trouvée pour ne surtout pas remettre en cause la place prédominante et démesurée de la voiture dans nos territoires.

Dans le contexte particulier des élections régionales et départementales de juin 2021, l’AF3V, l’association pour le développement des voies vertes et véloroutes de France, préconise fort judicieusement le passage à 5 mètres de la largeur des voies vertes dans les zones de fort usage, en particulier urbaines. En réalité, ce n’est pas suffisant, il faut envisager des aménagements spécifiquement piétonniers, sur les bords des voies d’eau, qui au final organiseraient deux flux très différenciés : le vélo et la marche à pied.

Bref, les espaces partagés n’ont pas de place dans le référentiel technique du référentiel technique du réseau cyclable structurant de Tours Métropole Val de Loire.

De la différence – fondamentale – entre bande cyclable* et piste cyclable**

La bande cyclable a une largeur recommandée de 1,80 m. en section courante rectiligne et sans autre recommandation selon le rayon de la courbe. Pour autant une bande cyclable peut-elle réellement constituer un vrai site séparé de la circulation automobile ? N’est-ce pas un aménagement antinomique du référentiel technique d’un réseau structurant de Tours Métropole ? Une bande cyclable crée-t-elle vraiment une séparation ?

Dans toutes les autres situations de bande cyclable, sans précision de lieu, la question du stationnement des automobiles a été posée avec les risques d’emportiérage2 et la nécessité d’une zone de protection, et a été proscrite dans tous les autres cas.

L’incongruité de ce référentiel technique des aménagements cyclables concerne les bandes cyclables montantes, ou l’art de faire nécessité vertu ! Cette proposition vise à entériner deux situations inacceptables sur un réseau cyclable structurant, car perçues comme dangereuses :

  • rue du Pont Volant à Joué-lès-Tours
  • et avenue de Beaugaillard à Saint-Avertin.

Pour cette raison, nous souhaitons que, soit ces axes ne soient pas utilisés pour le futur réseau express vélo, soit ils soient aménagés en supprimant une voie automobile pour donner la place qui manque aux vélos.

À quelles conditions, les bandes cyclables peuvent-elles avoir leur place dans le référentiel technique cyclable du réseau structurant de Tours Métropole Val de Loire quand l’attente des cyclistes d’aujourd’hui, mais surtout de ceux de demain, est de pouvoir circuler en sécurité en évitant le trafic motorisé ?

Une piste cyclable de Nantes Métropole.
Une piste cyclable de Nantes Métropole.

Conclusion

La concertation engagée par Tours Métropole Val de Loire ne manque pas d’ambiguïtés. On demande aux associations, où seul le Collectif Cycliste 37 participe, de se prononcer très vite sur un document incomplet. En outre, ce document de travail nous semble trop peu ambitieux et manquant de précisions :

  • les aménagements cyclables « peuvent » au lieu de « doivent » avoir une fonction prioritaire, où l’exception doit être exceptionnelle et dûment argumentée,
  • une norme minimale pour les pistes cyclables monodirectionnelles trop faible : 1,80 m,
  • les voies vertes constituent le lieu de la confusion la plus extrême d’autant qu’elles sont déjà en situation de quasi-saturation les après-midis.
  • à quelles conditions les pistes cyclables à la hauteur du trottoir pourraient-elles être acceptables sur Tours Métropole Val de Loire ?
  • à quelles conditions les pistes cyclables peuvent être intercalées avec du stationnement sur Tours Métropole Val de Loire ?

Le point de vue du Collectif Cycliste 37 est fondé sur le constat que trois villes centres de métropoles françaises sortent du lot en affichant un « climat favorable au vélo » à l’occasion du Baromètre des villes cyclables 2019 de la Fédération des Usagers de la Bicyclette : Strasbourg, Nantes pour les villes de plus de 200 000 habitants, Grenoble pour les villes de 100 à 200 000 habitants, catégorie à laquelle appartient Tours, qui, elle, a obtenu le score peu enviable de « climat vélo plutôt défavorable ».

  • Strasbourg est la ville la plus « cyclable » de France avec 15 % de part modale de déplacements vélo en centre-ville et 8 % en périphérie.
  • Nantes a une part modale du vélo de 6 % en centre-ville et Nantes Métropole de 3 %.
  • Grenoble a une part modale de 16 % en centre-ville et Grenoble Métropole de 9,7 %.

Le référentiel technique de Nantes a retenu toute notre attention pour sa philosophie qui retient deux niveaux d’excellence des aménagements cyclables, en distinguant les axes magistraux et les axes structurants à usage unique des cyclistes. Ce référentiel privilégie les pistes monodirectionnelles, pour l’essentiel en site propre, toujours séparées par un dispositif physique, le plus large possible avec un standard de 2,50 m. et une valeur plancher de 2 m. Dans le cas des pistes bidirectionnelles le standard est de 4 m. et la valeur plancher de 3 m.

Ce référentiel nantais apporte toutes les précisions qui manquent dans le référentiel technique en préparation sur Tours Métropole Val de Loire, qui devrait calquer son niveau d’ambition sur celui-ci et le prendre pour exemple au lieu de réinventer un référentiel bas de gamme qui, soyons sûr, ne permettra pas de rattraper notre retard en termes de pratique du vélo, et de répondre aux enjeux climatiques et de mobilité auxquels nous sommes confrontés.

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1  Vélotafeurs : celles et ceux qui vont tous les jours au travail ou en formation à vélo.
2 Un emportiérage est un accident de la route impliquant la collision entre un véhicule en mouvement et la portière d’une automobile à l’arrêt dans la file voisine du fait de l’ouverture intempestive de cette portière par le conducteur ou un passager inattentif au trafic extérieur.
* Une bande cyclable est une voie exclusivement réservée aux vélos sur une chaussée à plusieurs voies (la bande n’est séparée de la chaussée que par un trait de peinture).
** Une piste cyclable est une chaussée réservée aux vélos.

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