Gand (Belgique) ou la volonté d’une ville de dynamiser les modes actifs

Un urbanisme qui informe et dissuade les véhicules motorisés de pénétrer dans une zone interdite pour eux. © Layla Aerts , 2018.
Un urbanisme qui informe et dissuade les véhicules motorisés de pénétrer dans une zone interdite pour eux. © Layla Aerts , 2018.

Des solutions innovantes et ambitieuses pour lutter contre l’asphyxie due à l’automobile

Gand est le chef lieu de la province de Flandre Orientale, distante seulement de 70 km de l’agglomération lilloise et de 60 km de Bruxelles. Avoisinant 260 000 habitants, sa population est d’une taille comparable à celle de la métropole tourangelle. Gand accueille en outre 67 000 étudiants et près de 100 000 non-résidents y travaillent.

Depuis plusieurs années, le nombre de déplacements – tous modes confondus – y est en augmentation constante, avec notamment un surplus de 17 500 automobiles au cours des dix dernières années. Cette pression sur la ville a conduit les décideurs locaux à mettre en place des solutions ambitieuses pour la rendre plus agréable à habiter pour l’ensemble de la population tout en la gardant accessible et dynamique.

Entreprendre et réussir une telle transition serait-il hors de portée de villes françaises de taille comparable ?

Gand : déplacements en vélo en famille, avec ou sans vélo cargo. ©Copyright Stad Gent - photographe : Patrick Henry.
Gand : déplacements en vélo en famille, avec ou sans vélo cargo. ©Copyright Stad Gent – photographe : Patrick Henry.

Une transition concertée et aboutie

Déjà en 1997, un premier plan de déplacement urbain est mis en œuvre avec :

  • la création d’une zone piétonne au centre-ville (35 ha.),
  • la modernisation et la prolongation du réseau de tramway,
  • la création de 10 itinéraires cyclables traversant la ville,
  • la réalisation de nouveaux stationnements souterrains pour libérer de l’espace en surface,
  • la connexion de l’ensemble des parkings du centre par une boucle de circulation bien délimitée.

Ce programme est un succès : la ville connaît une forte augmentation de son attractivité. Mais il montre aussi ses limites :

  • le nombre de déplacements automobiles est en augmentation,
  • et les parkings autos sont saturés,
  • de même que certaines pistes cyclables.

En 2013, la ville et ses partenaires (région, sociétés de transport) s’accordent à mettre en place une nouvelle version du plan de mobilité allant au-delà des réponses conventionnelles généralement mises en œuvre. La mobilité est en effet un enjeu majeur pour garantir la qualité de vie en ville dans un contexte d’explosion du nombre de déplacements.

Une première version de ce plan est présentée fin 2015 et remodelée au cours d’échanges dans une série de réunions publiques de quartiers. L’échevin en charge du projet, Filip Watteeuw, a rencontré tous les groupes opposants afin d’aboutir à des compromis constructifs : par exemple sur les règles d’accès des habitants et des commerçants à la zone piétonne. Des conseils d’habitants représentatifs font remonter les problèmes auprès des élus après la mise en service du plan adopté en avril 2017.

Gand : des cyclistes à proximité d'un feu tricolore équipé d'un cédez-le-passage cycliste au feu. © Copyright Stad Gent - photographe Patrick Henry.
Gand : des cyclistes à proximité d’un feu tricolore équipé d’un cédez-le-passage cycliste au feu. © Copyright Stad Gent – photographe Patrick Henry.

En quoi consiste le plan de mobilité mis en place par la ville de Gand en 2017 ?

  • La zone piétonne est étendue. En passant de 35 à 51 ha, elle devient le plus grand piétonnier commercial de Flandre.
Le nouveau plan de circulation de Gand, officiellement lancé le 3 avril 2017 après une longue campagne de communication et de pédagogie, vise à élargir la zone à circulation restreinte de 15 hectares supplémentaires, de manière à donner davantage d'espace aux piétons et aux cyclistes. La zone sans trafic de transit est ainsi passé en une nuit à 51 hectares. Il est impossible d'entrer dans la zone sans autorisation. Le centre-ville, entourant cette zone, est divisée en six sections, accessibles uniquement par les grands boulevards intérieurs.Sébastien Marrec, 12 juillet 2018.
« Le nouveau plan de circulation de Gand, officiellement lancé le 3 avril 2017 après une longue campagne de communication et de pédagogie, vise à élargir la zone à circulation restreinte de 15 hectares supplémentaires, de manière à donner davantage d’espace aux piétons et aux cyclistes. La zone sans trafic de transit est ainsi passé en une nuit à 51 hectares. Il est impossible d’entrer dans la zone sans autorisation. Le centre-ville, entourant cette zone, est divisée en six sections, accessibles uniquement par les grands boulevards intérieurs. » Sébastien Marrec, 12 juillet 2018.
  • Le plan de circulation du centre-ville est revu afin de rendre le transit par le centre impossible tout en favorisant l’accès à certains usagers : vélos, transports en commun, taxis, livraisons, riverains. Le centre-ville est divisé en 5 zones interdites aux véhicules privés (dont la zone centrale) ainsi qu’en 6 autres secteurs « étanches » accessibles uniquement depuis le boulevard de contournement. L’étanchéité et la perméabilité sélective est assurée par des fermetures physiques (plots, bacs à fleurs, etc.) mais aussi virtuelles (caméras avec reconnaissance de plaques). Des itinéraires rapides, dédiés et directs depuis le boulevard de contournement à destination des parkings publics sont prévus pour les visiteurs en lien avec la nouvelle politique décourageant le stationnement des véhicules motorisés en voirie. Seuls les visiteurs sont pénalisés, les riverains, ont droit à une carte de stationnent gratuite par ménage.
Les 5 zones interdites aux véhicules privés, dont la zone centrale, représentent 51 ha. depuis le 3 avril 2017. Il s'agit du plus grand piétonnier commercial de Flandre.
Les 5 zones interdites aux véhicules privés, dont la zone centrale, représentent 51 ha. depuis le 3 avril 2017. Il s’agit du plus grand piétonnier commercial de Flandre.
La division de la ville de Gand en 6 zones distinctes (sans compter la zone centrale, en violet, exclusivement piétonne) que les voitures ne peuvent pas traverser sans emprunter le périphérique (trait blanc épais en bordure des 7 zones).
La division de la ville de Gand en 6 zones distinctes (sans compter la zone centrale, en violet, exclusivement piétonne) que les voitures ne peuvent pas traverser sans emprunter le périphérique (trait blanc épais en bordure des 7 zones).
  • La zone 30 est étendue à tous les axes non structurant de la ville au-delà du centre-ville. Tous les axes structurant (hors autoroutes et assimilés) sont passés à 50 km/h. La ville souhaite aller au-delà en réduisant aussi le régime de vitesse des autoroutes de 120 km/h à 90 km/h sur le territoire communal afin d’améliorer la fluidité et réduire les nuisances sonores mais se heurte actuellement à la région qui privilégie une « gestion dynamique » de la vitesse.
  • La zone de stationnement payant est fortement étendue pour couvrir presque toute l’agglomération de Gand, sauf les quartiers les plus excentrés, en sortie de ville. En parallèle, les tarifs des parkings de surface et souterrains sont fortement augmentés sur toute la ville afin de créer un effet « électrochoc ». La ville étant propriétaire et gestionnaire de la majorité des parkings du centre-ville, une politique tarifaire coordonnée entre surface et souterrain est mise en place afin d’envoyer les visiteurs vers les parkings en ouvrage et ainsi éviter le trafic de recherche de place de stationnement. Simultanément la ville a fortement investi dans les parkings périphériques, en aménageant certains des terrains acquis pour l’occasion, en augmentant la capacité des parkings relais existants et même en passant un accord avec certains acteurs privés disposant de surplus de parkings en périphérie. Pour certains de ces parkings, la ville propose toutes les 15 min. des navettes gratuites, directes vers le centre ville.
Cyclistes et bus dans les rues de Gand. © Copyright Stad Gent - photographe : Robin De Mol
Cyclistes et bus dans les rues de Gand. © Copyright Stad Gent – photographe : Robin De Mol
  • Le nombre de parkings vélos a lui aussi augmenté, surtout en centre-ville, avec la réalisation de parkings en ouvrage : 1850 places en centre ville et 4600 places en ouvrage sous la gare principale et la gare routière. Soit plus de 10 000 places de stationnement vélos : http://www.projectgentsintpieters.be/bereikbaarheid/fietsenstallingen Toutes les places en ouvrage sont surveillées par caméra mais il n’y a pas de présence physique en continu.
  • Des actions sont menées dans chaque quartier avec l’objectif d’un emplacement vélo pour chaque résident à 100 m maximum de sa porte d’entrée. Cela consiste à placer des arceaux vélos en voirie mais aussi à réaliser des parkings de quartiers dans des ouvrages dédiés édifiés par la ville, souvent en synergie avec d’autres projets urbains (maisons de quartier, etc.).
  • Enfin, à chaque projet de réaménagement de la voirie, la ville réduit considérablement le nombre de places de stationnement de véhicules motorisés afin d’implanter plus d’espaces verts, de zones d’infiltration des eaux de pluie ou de détente (jeux pour enfants, bancs publics …). Elle propose également l’aménagement d’emplacements réservés aux vélos et aux véhicules partagés.
  • Le réseau cyclable est amélioré :
    • largeur minimale de 3 m.,
    • entretiens réguliers des pistes cyclables
    • et aménagement de passerelles et souterrains.
  • Il est remodelé avec des axes rapides et sans conflits, appelés également « autoroutes cyclables », déconnectés du réseau routier et aménagés le long de rivières, voies ferrées ou voies rapides. Ce réseau dessert les sites d’attraction majeurs, les quartiers résidentiels et les pôles de transport en commun.
  • La ville de Gand a, en parallèle, lancé son « plan de mobilité » pour ses propres employés en distribuant des vélos classiques et pliants et en réduisant le nombre de locations de places de stationnement. Une agence spécifique a été mise sur pied pour accompagner les entreprises, et en particulier l’hôpital universitaire, un des premiers employeurs de la ville, dans la réalisation de plans de réduction de l’usage de l’automobile.
Un pont fermé à la circulation des véhicules motorisés mais ouvert pour le passage des piétons et des cyclistes dont on cherche à favoriser les déplacements. © Stad Gent - Christophe Vander Eecken
Un pont fermé à la circulation des véhicules motorisés mais ouvert pour le passage des piétons et des cyclistes dont on cherche à favoriser les déplacements. © Stad Gent – Christophe Vander Eecken

D’autres mesures complémentaires sont été mises en place

  • une ligne de bus électrique dans la zone piétonne pour les personnes moins mobiles,
  • une « ambassade du vélo » qui propose à la location des vélos pour les visiteurs et un service de location dédié et bon marché pour les étudiants, des ateliers de réparations et la gestion de la problématique des vélos abandonnés (mal stationnés ou dépassant la durée de stationnement autorisée) avec notamment un dépôt pour ceux-ci,
  • une convention avec deux loueurs de vélos en « free-floating » après appel à projet,
  • des projets locaux de « rues à vivre » (Leeftstraat, en néerlandais) et de « vélorues » (Fietsstraat, en néerlandais). Une trentaines de rues se « portent volontaires » pour être une Leefstraat et reçoivent alors une aide technique de la ville. L’idée est de réaliser un aménagement temporaire environ de fin mars à fin juin pour sensibiliser des habitants à l’idée qu’une autre ville est possible. Pour certaines rues l’aménagement a été rendu définitifs mais ce n’est pas le cas partout. Plus d’informations, en anglais: https://www.leefstraat.be/the-ghent-pioneering/Ou sur le site de la ville de Gand : https://stad.gent/nl/samenleven-welzijn-gezondheid/samenleven/buurtwerk-gent/ondersteuning-bewonersgroepen/leefstraten-gent
Une « rue à vivre » (Leeftstraat, en néerlandais) à Gand. En France, le terme "vélorue" semble s'être imposé. © Layla Aerts
Une « rue à vivre » (Leeftstraat, en néerlandais) à Gand. En France, le terme « vélorue » semble s’être imposé. © Layla Aerts

Ce plan de mobilité est intégré à une vision globale de l’urbanisme qui concerne aussi bien les espaces verts que les zones à rénover ou à urbaniser. Il vise à garantir à tous l’accessibilité de la ville et la sérénité des déplacements, quel que soit le mode de transport, dans un contexte agréable à vivre et bon pour la santé.

Cyclistes et piétons dans une rue de Gand. © Copyright Stad Gent - photographe : Patrick Henry.
Cyclistes et piétons dans une rue de Gand. © Copyright Stad Gent – photographe : Patrick Henry.

Évaluation et retombées du plan

En mars 2018, une évaluation globale a été publiée prenant en compte l’évolution de la circulation et de la qualité de l’air ainsi que le ressenti d’un panel d’habitants représentatif. Les comptages confirment :

  • la baisse de la circulation automobile,
  • l’augmentation de la pratique du vélo
  • et de la fréquentation des transports en commun au-delà des objectifs initiaux.

Ce plan de mobilité est intégré à une vision globale de l’urbanisme qui concerne aussi bien les espaces verts que les zones à rénover ou à urbaniser. Il vise à garantir à tous l’accessibilité de la ville et la sérénité des déplacements, quel que soit le mode de transport, dans un contexte agréable à vivre, bon pour la santé et ouvert à tous, notamment aux enfants (Kindvriendelijk, en néerlandais).

La sécurité routière est améliorée.

Concernant la pollution atmosphérique, les émissions de CO2 en ville ont baissé de 18 %.

Constat est fait également d’une amélioration de l’attractivité du centre ville. Le nombre de passages dans la zone piétonne est ainsi en nette augmentation. L’observation du commerce semble démontrer que la ville de Gand est une des plus dynamiques de Belgique avec un taux de vacances plus faible que d’autres villes équivalentes. Ainsi, concernant l’attractivité de la ville et le dynamisme du commerce de proximité :

  • le nombre de commerces a augmenté de 20 % entre 2017 et 2018.
  • le nombre de faillites a diminué de 7 % entre 2017 et 2018.

La réussite de ce plan de mobilité est restituée dans la vidéo suivante : La manière innovante dont Gand (Belgique) a retiré les voitures de la ville

Les obstacles politique et médiatique au changement de plan de circulation de Gand

L’annonce du plan en 2015 a généré une très forte levée de boucliers de groupes divers (commerçants, professions libérales et certains riverains) très bien organisés et soutenus par les partis d’opposition.

Le plan de circulation a été fortement médiatisé au point que tous les médias nationaux étaient présents lors de son lancement en avril 2017. Cette flambée médiatique et les réseaux sociaux ont contribué à alimenter une rumeur selon laquelle le centre-ville ne serait plus accessible après la mise en œuvre du plan, ce qui n’a pas été le cas. Au contraire, le centre-ville a connu depuis une forte montée en puissance du tourisme et une nette augmentation de sa population. On constate toutefois une baisse de sa fréquentation par les habitants de la grande périphérie, encore insuffisamment desservie par les transports en commun et souvent trop éloignée pour l’usage du vélo.

« Après tout, nous connaissons tous l’histoire typique de la ville, de la région ou du pays qui essaie de mettre en œuvre un plan de mobilité innovant : il y a souvent des tactiques pour effrayer la population et l’opposition politique essaie de s’en servir afin d’aller contre ce plan. Les médias essaient en outre de susciter la controverse en disant que les plans ne vont pas fonctionner et vont poser des problèmes.

Dans ce récit élargi sur Gand, vous pourrez entendre certaines de ces « histoires » : des menaces de mort contre le vice-maire Filip Watteeuw, et même des urbanistes néerlandais, oui néerlandais (!), qualifiant que ce projet de « suicide politique ».

Mais, comme nous le savons, dans de nombreux cas un projet bien pensé fonctionne et le public finit par l’apprécier mieux que les médias ne le supposeront jamais. »

Streetfilms. Les obstacles politiques et médiatiques au changement de plan de circulation de Gand. 1er janvier 2020

Conclusions

Cette politique volontariste de déplacement, loin des procédés généralement mis en œuvre, a su allier intermodalité et développement des modes actifs, marche à pied et vélo.

Elle est bénéfique pour l’ensemble des habitants qui ont pu se réapproprier l’espace public jusque là confisqué par la voiture.

Cette stratégie a été confortée par les résultats de l’élection municipale de 2018 qui a vu le maintien de la même coalition à la mairie de Gand, coalition qui porte porte aujourd’hui des projets d’investissements dans la continuité des plans de circulation précédents mais étendus aux quartiers périphériques de la ville avec 8 quartiers sélectionnés.P

Piétons, cyclistes, bus et tramway dans une des rues de Gand. © Copyright Stad Gent - photographe : Patrick Henry.
Piétons, cyclistes, bus et tramway dans une des rues de Gand. © Copyright Stad Gent – photographe : Patrick Henry.

Pour en savoir plus

En français :

En anglais :

Remerciements

  • Véronique et Patrick pour la rédaction de cet article – commission « Aménagements, sécurité et intermodalité » du Collectif Cycliste 37
  • Service de Communication – Création de la ville de Gand pour la mise à disposition des photographies appartenant à la ville.